Life on Mars

Peu importe qui on rencontre sur la route en Bolivie. La question est toujours : « Vous avez fait le salar ? » Le secret d’initié s’est éventé au fil des années et l’excursion à travers les paysages immaculés du sud bolivien est devenu un incontournable des parcours en Amérique latine.
Dès notre arrivée à Uyuni, la porte d’entrée du désert de sel, nous en faisons amèrement le constat. Tout tourne ici autour des excursions en 4×4. Les agences rivalisent dans les arguments et les prix cassés pour attirer à eux les touristes fraîchement débarqués des bus et des trains qui arrivent en ville. Nous en faisons les frais en réservant un peu trop vite une excursion auprès d’une femme qui nous aborde dès notre descente du bus de Potosi. Le 4×4 ne paraîtra jamais, nous perdons finalement une journée de plus à Uyuni, ville au tourisme triste, entre les rabatteurs des agences qui arpentent le pavé, les pizzerias sans âme qui nourrissent les groupes de touristes qui, comme nous, déambulent sans but dans les rues, en attente de leur excursion.
La contrariété du faux-départ se dissipe finalement, une fois tracés les premiers kilomètres. Notre chauffeur, Aymar, se contente de commentaires laconiques, les mêmes que ceux sur la brochure que nous a fournie l’agence. Il faut dire qu’en plus de nous conduire à travers les paysages boliviens, il doit également nous préparer les repas, le tout sur un rythme effréné de longs trajets de piste, entrecoupés de la traditionnelle phrase : « Pueden caminar y sacar fotos ». A chaque arrêt, nous retrouvons la petite dizaine de 4×4 qui effectuent le même tour que nous et les touristes qui s’adonnent aux mêmes séances de mitraillage photo.
Mais, cela serait faire une injustice aux paysages sublimes que nous traversons que de ne s’arrêter qu’à cette impression. Le salar, c’est la réduction à un seul mot, de paysages bien plus vastes, bien plus étonnants que la seule mer de sel. Nous traversons des paysages lunaires, à moins que nous soyons sur Mars, finalement nous ne savons plus très bien. Les explications d’Aymar, le chauffeur, ne nous avancent pas beaucoup plus, mais, finalement, cela n’a pas grande importance, nous sommes ailleurs. Au milieu des geysers dont la vapeur hante le jour qui se lève tout juste. Ou bien dans cette piscine naturelle à 37°C, dénichée à une centaine de mètres du bassin en béton où les autres groupes se pressent. Miles refuse de sortir de sa baignoire improvisée. Nous sommes à 4200 mètres, il fait 2°C dehors. Les instants de paradis se méritent.
Et même si les nuits sont fraîches, même si la route longue, on aime notre groupe de voyageurs. Pablo et Tony, les Toulousains en vadrouille pour plusieurs mois en Amérique du sud. Viktor, le Suédois, qui ne parle pas un mot d’espagnol. Ni un mot de Français d’ailleurs. Mais le voyage se fiche des langues. Le soir, on se retrouve autour d’une partie endiablée de Uno, avant de s’endormir dans le même dortoir.
Après un trajet épique entre Uyuni et Tupiza où nous avons tremblé à chaque virage, tandis que les Boliviens dorment ou discutent comme si de rien n’était, nous nous apprêtons à quitter la Bolivie, avec ce sentiment retrouvé d’une authenticité rare, mais à la fois extrêmement fragile. Le tourisme se développe de manière rapide, importante, les infrastructures commencent à suivre. Et un mur invisible se dresse entre les Boliviens, soucieux de garder leur intégrité, et nous autres gringos, avec nos rêves d’ailleurs, bien loin de la réalité quotidienne d’un pays difficile, perdu au milieu des montagnes, écrasé par sa pauvreté.